dimanche 7 mai 2017

8 mai 1945 : un poème pour se souvenir...

En ce jour anniversaire de la chute ducamp de Dien Bien Phu, et à la veille de l'anniversaire de l'armistice du 8 mai 1945, je vous livre ce poème, bien connu de nos amis légionnaires, écit par le Capitaine de BORELLI.

Il est étonnant de constater combien ces mots gardent toute leur pertinence près de 150 ans plus tard...


Capitaine de Borelli, officier de la Légion : « A mes hommes qui sont morts, et particulièrement à la mémoire de Tiebald Streibler, qui m’a donné sa vie le 3 mars 1885 ».


Mes compagnons, c’est moi ; mes bonnes gens de guerre,
C’est votre Chef d’hier qui vient parler ici
De ce qu’on ne sait pas, ou que l’on ne sait guère ;
Mes Morts, je vous salue et je vous dis : Merci.

Il serait temps qu’en France on se prît de vergogne
A connaître aussi mal la vieille Légion
De qui, pour l’avoir vue à sa rude besogne
J’ai la très grande amour et la religion.

Or, écoutez ceci : « Déserteurs ! Mercenaires ! »
« Ramassis d’Etrangers sans honneur et sans foi ! »
C’est de vous qu’il s’agit, de vous, Légionnaires !
Ayez-en le cœur net, et demandez pourquoi ?

Sans honneur ? Ah ! passons ! Et sans foi ? Qu’est-ce à dire,
Que fallait-il de plus et qu’aurait-on voulu ?
N’avez-vous pas tenu, tenu jusqu’au martyre,
La parole donnée et le marché conclu ?

Mercenaires ? sans doute : il faut manger pour vivre ;
Déserteurs ? Est-ce à nous de faire ce procès ?
Etrangers ? Soit. Après ? Selon quel nouveau livre
Le maréchal de Saxe était-il donc Français ?

Et quand donc les Français voudront-ils bien entendre
Que la guerre se fait dent pour dent, œil pour œil
Et que des Etrangers qui sont morts, à tout prendre,
Chaque fois, en mourant, leur épargnaient un deuil.

Aussi bien c’est assez d’inutile colère,
Vous n’avez pas besoin d’être tant défendus ;
Voici le Fleuve Rouge et la Rivière Claire
Et je parle à vous seuls de vous que j’ai perdus !

Jamais garde de Roi, d’Empereur, d’Autocrate,
De Pape ou de Sultan, jamais nul Régiment
Chamarré d’or, drapé d’azur ou d’écarlate,
N’allez d’un air plus mâle et plus superbement.

Vous aviez des bras forts et des tailles bien prises,
Qui faisaient mieux valoir vos hardes en lambeaux ;
Et je rajeunissais à voir vos barbes grises,
Et je tressaillais d’aise à vous trouver si beaux.

Votre allure était simple et jamais théâtrale ;
Mais, le moment venu, ce qu’il eût fallu voir,
C’était votre façon hautaine et magistrale
D’aborder le « Céleste » ou de le recevoir.

On fait des songes fous, parfois, quand on chemine,
Et je me surprenais en moi-même à penser,
Devant ce style à part et cette grand mine
Par où nous pourrions bien ne pas pouvoir passer ?

J’étais si sûr de vous ! Et puis, s’il faut tout dire,
Nous nous étions compris : aussi de temps en temps,
Quand je vous regardais vous aviez un sourire,
Et moi je souriais de vous sentir contents.

Vous aimiez, troupe rude et sans pédanterie,
Les hommes de plein air et non les professeurs ;
Et l’on mettait, mon Dieu, de la coquetterie
A faire de son mieux, vous sachant connaisseurs.

Mais vous disiez alors : « La chose nous regarde,
Nous nous passerons bien d’exemples superflus ;
Ordonnez seulement, et prenez un peu garde,
On vous attend … et nous on ne nous attend plus ! »

Et je voyais glisser sous votre front austère
Comme un clin d’œil ami doucement aiguisé,
Car vous aviez souvent épié le mystère
D’une lettre relue ou d’un portait baisé.

N’ayant à vous ni nom, ni foyer, ni Patrie
Rien où mettre l’orgueil de votre sang versé,
Humble renoncement, pure chevalerie,
C’était dans votre chef que vous l’aviez placé.

Anonymes héros, nonchalants d’espérance,
Vous vouliez, n’est-ce pas, qu’à l’heure du retour,
Quand il mettrait le pied sur la terre de France,
Ayant un brin de gloire, il eût un peu d’amour.

Quant à savoir si tout s’est passé de la sorte,
Et si vous n’êtes pas restés pour rien là-bas,
Si vous n’êtes pas morts pour une chose morte,
O mes pauvres amis, ne le demandez pas !

Dormez dans la grandeur de votre sacrifice,
Dormez que nul regret ne vienne vous hanter ;
Dormez dans cette paix large et libératrice
Où ma pensée en deuil ira vous visiter !

Je sais où retrouver, à la suprême étape
Tous ceux dont la grande herbe a bu le sang vermeil,
Et tous ceux qu’ont engloutis les pièges de la sape,
Et tous ceux qu’ont dévorés la fièvre et le soleil ;

Et ma pitié fidèle, au souvenir unie,
Va du vieux Wunderli qui tomba le premier
Et suivant une longue et rouge litanie
Jusqu’à toi, mon Streibler, qu’on tua le dernier !

D’ici je vous revois, rangés à fleur de terre
Dans la fosse hâtive où je vous ai laissés,
Rigides, revêtus de vos habits de guerre
Et d’étranges linceuls faits de roseaux tressés.

Les survivants ont dit – et j’ai servi de prêtre !
L’adieu du camarade à votre corps meurtri ;
Certain geste fut fait bien gauchement peut-être,
Pourtant je ne crois pas que personne en ait ri !

Mais quelqu’un vous prenait dans sa gloire étoilée
Et vous montrait d’en haut ceux qui priaient en bas,
Quand je disais pour tous, d’une voix étranglée,
Le Pater et l’Ave – que tous ne savaient pas !

Compagnons, j’ai voulu vous parler de ces choses,
Et dire en quatre mots pourquoi je vous aimais :
Lorsque l’oubli se creuse au long des tombes closes,
Je veillerai du moins et n’oublierai jamais.

Si parfois, dans la jungle où le tigre vous frôle
Et que n’ébranle plus le recul du canon,
Il vous semble qu’un doigt se pose à votre épaule,
Si vous croyez entendre appeler votre nom.

Soldats qui reposez sous la terre lointaine,
Et dont le sang me laisse des remords,
Dites-vous simplement : « C’est notre Capitaine
Qui se souvient se nous … et qui compte ses Morts. »

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